Discours prononcé au Musée du Bardo, Tunis
Mesdames et messieurs, collègues et amis,
dans cet espace du colloque dédié à la SAIC, au bilan de ces neuf premières années et à l’installation des nouveaux organes de gouvernance, mon intervention ne sera pas cette fois-ci d’ordre scientifique, mais se limitera à quelques réflexions sur ces deux journées de travail menées au Musée du Bardo pour célébrer les 60 ans de coopération archéologique italo-tunisienne et sur le rôle de la SAIC dans la promotion de l’archéologie en Tunisie.
Permettez-moi tout d’abord de remercier les organisateurs de cet important événement: le directeur général de l’Institut National du Patrimoine, Tarek Baccouche, l’Ambassadeur d’Italie en Tunisie, Alessandro Prunas, et le directeur de l’Institut Italien de Culture à Tunis, Fabio Ruggirello. Comme je l’ai déjà souligné lors de la Giornata dell’Archeologia célébrée il y a deux ans à Rome au Capitole, lors d’un événement réunissant plus de 300 représentants des missions archéologiques italiennes à l’étranger, il est fondamental d’organiser ces rencontres non seulement pour surmonter une réticence et une conflictualité non infrequente entre les universités opérant dans les mêmes territoires, mais surtout pour échanger des communications scientifiques, des informations, des connaissances techniques, en optimisant, là où cela est possible, également les instruments, les méthodologies et les modes opératoires, dans une phase conjoncturelle où les ressources dédiées à la recherche archéologique subissent une contraction progressive. Je prie donc les organisateurs de veiller à ce que des rencontres comme celle-ci, rendues encore plus précieuses par la participation conjointe des directeurs de mission tunisiens et italiens, puissent acquérir une périodicité régulière, si ce n’est annuelle, du moins biennale.
Au-delà de l’effet symbolique, l’événement souligne l’engagement de l’Italie à renforcer encore le lien et la collaboration, également sur le plan culturel, avec la République tunisienne, entamée au lendemain de l’indépendance du protectorat français en 1956. La recherche archéologique, ces dernières décennies, a fortement contribué au renforcement des relations commerciales et culturelles entre les deux pays, représentant en général un véhicule privilégié pour la coopération et la construction de relations synergiques entre les nations. L’importance de la Tunisie pour l’Italie a été encore soulignée par le Gouvernement italien à travers l’inclusion du pays parmi ceux bénéficiaires du Piano Mattei, qui inclut également des programmes de valorisation du patrimoine archéologique dans le cadre du travail complexe mené par l’AICS-Agenzia Italiana per la Cooperazione Internazionale.
En tant que haut fonctionnaire de l’État, ainsi qu’en tant qu’archéologue, c’est avec une grande satisfaction que je constate, au cours des nombreux voyages réalisés entre le continent africain et asiatique ces dernières années, une présence croissante de l’archéologie italienne. Cette présence n’est certes pas due seulement à la préparation scientifique et technique de nos opérateurs, mais je pense qu’elle est également imputable à une donnée culturelle qui nous pousse à « entrer chez autrui » sur la pointe des pieds, avec le juste respect, l’empathie et une disponibilité au dialogue et à la coopération, non imprégnée d’une approche paternaliste de type post-colonial. L’archéologie italienne n’est pas victime de cette conception de supériorité eurocentrique affirmée au XIXe siècle en matière de protection et de conservation du patrimoine culturel et archéologique, qui légitimait aussi le soin et surtout la conservation des témoignages matériels d’autrui; au contraire, notre patrimoine en a été largement victime au cours des siècles, si l’on considère comment les collections italiennes enrichissent les dépôts des principaux musées de la planète. Nous allons dans le monde, en Tunisie en particulier, non seulement pour « enquêter la terre » afin de réaliser des publications scientifiques, mais avec l’idée d’entrer dans la culture de ce pays merveilleux et de construire des parcours d’études, de conception et de restauration des monuments investigués, afin qu’ils puissent ensuite être mis à la disposition des populations et des autorités locales, dans une optique non seulement de jouissance, mais aussi de cette nécessaire promotion touristique, qui, en préservant les traditions et la culture immatérielle, puisse constituer un moteur économique avec la création d’opportunités de travail pour les nouvelles générations. C’est là le principal motif pour lequel, comme cela a été souligné à plusieurs reprises au cours de ces journées de travail, pas moins d’une quinzaine de missions archéologiques italo-tunisiennes sont aujourd’hui opérationnelles, faisant de l’Italie le premier partenaire culturel de la République tunisienne.
Revenant à la SAIC, je remercie tout d’abord les membres pour m’avoir élu, ces dernières semaines, à la présidence honoraire. Comme l’a rappelé Sergio Ribichini dans le précieux volume présenté il y a quelques minutes, la SAIC est née en 2016, dans le sillage d’une activité d’étude et de recherche prolifique de plusieurs décennies menée sur l’Afrique punique et romaine par le monde académique méditerranéen, en particulier mais pas exclusivement avec les grands colloques «L’Africa Romana». Aujourd’hui, la SAIC doit représenter un point de départ pour la construction d’une grande communauté scientifique qui, avec respect, attention et compétence, reste ouverte et disponible au dialogue avec les autorités culturelles, le monde académique, mais aussi les chercheurs, les passionnés et les écoles. Ce que nous nous apprêtons à recueillir avec Anna Depalmas et le nouveau Conseil scientifique est un grand patrimoine, une institution qui, en quelques années depuis sa fondation, a connu une croissance extraordinaire, devenant un point de référence dans le domaine méditerranéen et international pour la recherche et l’archéologie.
Hier, ici au Bardo, nous avons rendu hommage à un grand maître de l’École archéologique tunisienne, M’hamed Hassine Fantar ; aujourd’hui, permettez-moi de célébrer l’un des plus grands maîtres de l’Académie scientifique italienne: Attilio Mastino. Un maître au sens le plus complet du terme. Hier encore, une collègue dde l’Istituto Italiano per l’Archeologia a rappelé avec émotion, dans son intervention, sa première expérience de fouille à Uchi Maius sous la direction d’Attilio, alors qu’elle était encore lycéenne, avec d’autres jeunes… il ne s’agit pas d’une approche didactique si répandue dans le monde académique; outre l’extraordinaire stature scientifique, la capacité d’impliquer et de motiver les jeunes dans la recherche peut être confirmée par les nombreux élèves d’Attilio présents ce matin au Bardo. La SAIC lui est reconnaissante non seulement pour sa fondation, mais aussi pour l’action de coordination et d’impulsion qu’il a su insuffler, assurant ainsi la continuité du travail entrepris par Sabatino Moscati, fondateur des études phéniciennes et puniques, et qui se poursuivra dans les années à venir.
C’est précisément à Moscati que, sur la colline de Byrsa, acropole de la Carthage punique, romaine, vandale et byzantine, a été dédiée la prestigieuse bibliothèque, siège de la SAIC inaugurée en 2022. Elle représente bien plus qu’un lieu d’étude pour les jeunes Tunisiens; elle incarne un lieu symbolique de rencontre entre le monde académique tunisien et italien. Les travaux en cours de conception pour le musée, dans lequel la bibliothèque est hébergée, nécessitent un transfert temporaire. Je sollicite donc le soutien des autorités compétentes afin de préserver l’esprit avec lequel elle a été établie et, surtout, de mener une recherche synergique pour trouver une nouvelle solution logistique institutionnelle, permettant une utilisation plus large et transformant la bibliothèque en un véritable centre de recherche et de formation scientifique.
Aujourd’hui, le défi auquel le gouvernement tunisien est confronté sur le plan culturel est certainement celui de l’investigation, de la restauration et de la valorisation d’un patrimoine culturel d’une importance extraordinaire, en renforçant et, dans certains cas, en concevant des parcours touristiques thématiques, susceptibles d’enrichir l’offre touristique en attirant des visiteurs non seulement de passage, mais également impliqués dans la redécouverte des trésors monumentaux et des valeurs des traditions culturelles caractéristiques des différentes régions du pays. Ce défi, aux multiples facettes et profils d’activité, enregistre des résultats significatifs, tels que celui poursuivi avec succès par le directeur général Tarek Baccouche, qui, en ces jours, a réussi à rapatrier en Tunisie des milliers de vestiges archéologiques.
Dans ce parcours partagé, reliant passé, présent et avenir, fondé sur des valeurs solides de respect, de confiance, de développement des connaissances et de désir de promouvoir un patrimoine, la SAIC met à disposition son capital humain et scientifique pour contribuer à renforcer davantage cette précieuse et féconde collaboration.